Ce site met gratuitement à disposition le commentaire par le Shankaracharya de Jyothishpitha et Dwarka de Sat-Darshanam, un opuscule de Ramana Maharshi. Le commentaire a été traduit à partir de l’anglais et préfacé par Renaud Fabbri.
Avec la publication de l’introduction générale à l’étude des doctrines hindoues (1921) puis de l’homme et son devenir selon le Vedanta (1925), René Guénon ouvrait la possibilité d’une compréhension intérieure des doctrines sapientiales de l’Inde, axée sur la perspective d’une réalisation spirituelle. Guénon, qui était semble-t-il entré en contact des hindous à Paris, présentait pour la première fois au public français la sagesse hindoue, dépouillée des fantasmagories théosophiques et néo-hindoues mais aussi des pesanteurs de l’érudition académique. Pour beaucoup de ses lecteurs, la lecture de Guénon fut une révélation en même temps qu’une catharsis et ce même si on peut regretter avec le recul que Guénon n’ait jamais visité l’Inde. Un contact régulier avec les gardiens du Sanathana Dharma lui aurait sans doute évité quelques approximations sur la cyclologie hindoue[1] et permis d’accorder une place plus juste à la bhakti, la voie dévotionnelle indienne. Il aurait sans doute pris aussi conscience que sa présentation du Vedanta shankarien reflétait les synthèses tardives entre le Vedanta et le Samkhya, plutôt que l’enseignement de Shankara et Gaudapada eux-mêmes. Enfin que dire de son affirmation péremptoire que les initiations hindoues sont rigoureusement fermées aux occidentaux en raison du système des castes, et démentie dans les faits par plusieurs cas plus ou moins illustres ?
Si donc on se doit de reconnaitre que la présentation guénonienne des doctrines hindoues est occasionnellement fautive, on ne peut qu’être frappé que par la sureté de son jugement quand il s’agit de discerner entre les expressions orthodoxes et hétérodoxes de la sagesse hindoue contemporaine. Guénon a su discerner une pente inquiétante dans la pensée de Sri Aurobindo, avant même qu’elle n’apparaisse au grand jour dans l’enseignement de la Mère. C’est ainsi qu’il a su aussi reconnaitre en Ramana Maharshi, un maitre exceptionnel (et ce même si les modalités de sa réalisation sont atypiques), exerçant ce que Frithjof Schuon a heureusement appelé une forme d’« action de présence » au sein du monde contemporain.
Le texte présenté ici est tout à fait exceptionnel dans la mesure où il s’agit de la première traduction en français d’un commentaire écrit par Swami Swarupananda Saraswati, le futur Shankaracharya de Jyothishpitha et Dwarka[2] à propos d’un ouvrage du Maharshi. Cet ouvrage, intitulé Ulladu Narpada est un des plus célèbres du Maharshi. Il contient quarante propositions extrêmement synthétiques sur la nature de la Réalité ultime et le processus de réalisation spirituelle. Le commentaire que le lecteur va découvrir fut écrit en 1955 par une des plus grandes autorités traditionnelles et initiatiques de l’Inde contemporaine et confirme la parfaite régularité traditionnelle de l’enseignement du Maharshi tout en insistant sur certaines particularités de son enseignement.
Il est inutile de présenter à notre lecteur Ramana Maharshi. L’auteur du commentaire est en revanche largement inconnu en dehors de l’Inde. Le nom de Swarupananda Saraswati n’est parvenu en France que très récemment à travers la remarquable traduction que Jean-Louis Gabin et Gianni Pellegrini ont fait de deux études, l’une sur le culte du Lingam et l’autre sur la discipline initiatique de la Sri Vidya, écrites par son condisciple et maitre spirituel, Swami Karpatri. Le Shankaracharya a bien voulu écrire une préface à ces traductions.
En raison de l’absence de documents d’archives, il n’y a néanmoins pas d’étude biographique sur Swami Swarupananda Saraswati lui-même. Dans une large mesure, ce que nous pouvons savoir de sa vie se confond avec l’histoire des lignages par lequel le Sanathana Dharma continue de se transmettre en ce début de l’âge sombre (kali-yuga) et ce même si sa fonction de Shankaracharya a pu l’amener à intervenir ponctuellement dans les affaires politiques de l’Inde contemporaine.
Renaud Fabbri
[1] Selon l’interprétation que les maitres traditionnels hindous donnent de la doctrine des cycles nous sommes au début et non à la fin du kali-yuga. Rien dans la cosmologie hindoue ne nous autorise à interpréter l’émergence de la modernité comme le signe d’une fin imminente du monde.
[2] La tradition hindoue attribue à Adi Shankara la fondation de quatre centres monastiques et initiatiques (matha) aux quatre coins de l’Inde, à savoir Dwarka dans l’Etat actuel du Gujarat, Jyothishpitha dans l’Uttarakhand, Puri en Orissa et Sringeri dans le Karnataka. On ajoute parfois à cette liste Kanchipuramm dans le Tamil Nadu.